Un témoignage de l’histoire pour les 3e Spielberg
Vendredi 18 mai 2018, Mme Cohen, accompagnée de son fils et sa belle-fille, est venue au CDI du collège des 16 Fontaines, à la rencontre des 3e Spielberg pour témoigner de sa déportation à Auschwitz à partir du printemps 1944, alors qu’elle n’avait que 19 ans. Ce fut un moment très riche et émouvant pour tous, qui venait clôturer une année de réflexion autour des deux guerres mondiales.
En effet, les 3e Spielberg ont fait deux autres rencontres au cours de l’année pendant leur cours d’histoire, pour mieux comprendre les deux guerres mondiales. Chaque trimestre leur a permis de découvrir un aspect de l’histoire locale, à l’initiative de leur professeur M Belhadj, très intéressé par la possibilité de rencontrer des témoins, en partenariat avec Mme Bernos, professeure documentaliste, pour l’organisation :
Au Premier trimestre
– Vendredi 10 Novembre 2017, la veille du 99e anniversaire de l’Armistice, ils ont assisté au CDI à une conférence sur la Première Guerre Mondiale, donnée par M Haingue, zacharien passionné par cette période de l’histoire et ayant récolté de nombreux documents sur la guerre à Saint-Zacharie.
Au deuxième trimestre
– Mardi 20 mars 2018, lors de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme, ils se sont rendus au Mémorial du Camp des Milles, avec leurs professeurs d’histoire M Belhadj et Mme Maurel, ainsi que leur professeure de français, Mme Martinez. Le Mémorial permet de comprendre le rôle de ce lieu successivement camp de prisonniers étrangers, puis de transit pendant la guerre. Il amène également les élèves à réfléchir à la montée du racisme, en apprenant à identifier ses signes précurseurs… et surtout à comment éviter qu’un tel phénomène ne se reproduise. En histoire, le programme porte sur « L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) », les génocides de la Seconde Guerre Mondiale et la France de Vichy. Brahim Belhadj explique : « Les élèves ont pu voir que cette guerre qui paraît pour certains lointaine a eu des conséquences à l’échelle locale. En effet, certains étaient choqués de voir que tout près de chez nous, à Aix, des hommes, des femmes et des enfants ont été enfermés, privés de leur liberté et pour certains envoyés à une fin certaine dans le centre de mise à mort d’Auschwitz. Ils ont pu mieux comprendre comment se mettent en place les génocides en visionnant un film pédagogique abordant les génocides du XXème siècle et en participant à un atelier psycho-social analysant notamment l’expérience de Milgram. A la fin de cette journée forte en émotions, plusieurs élèves souhaitaient revenir avec leurs parents pour leur expliquer ce qu’ils ont appris et lutter à leur manière contre les racismes et l’antisémitisme qui nous ont fait tant de mal au XXème siècle et continuent d’en faire aujourd’hui ».
Au troisième trimestre
Le témoignage de Mme Cohen a permis aux élèves de prolonger leur réflexion. Elle a insisté auprès d’eux : « N’oubliez jamais les 6 millions de juifs qui sont morts », leur a-t-elle dit. Ils avaient préparé des questions pour comprendre comment avait pu être la vie avant, pendant et après la déportation. Ils ont été extrêmement touchés par le récit de Mme Cohen, qui a raconté sa jeunesse dans le bar-restaurant que tenait son père, l’arrestation soudaine et l’envoi vers Drancy, avec ses parents, ses deux frères, sa belle-soeur et ses trois sœurs. Ils pensaient d’abord qu’ils allaient juste devoir travailler. Mais Drancy n’était qu’une étape avant Auschwitz, qu’ils ont rejoint en train, sans eau ni nourriture pendant trois jours. Elle a expliqué qu’à l’arrivée, les nazis leur prenaient tout, jusqu’à leurs cheveux qu’ils rasaient et leur nom, remplacés par un numéro tatoué sur leur bras, comme si leur identité ne comptait plus. Elle a évoqué la honte et la peur ressenties. L’incompréhension permanente, car elle et ses sœurs ne parlaient pas l’allemand. Elle a mentionné les chiens, qui pourchassaient ceux qui tentaient de s’enfuir, les heures passées debout dans le froid à être comptés et recomptés, les sélections quotidiennes à quatre heures du matin, qui désignaient ceux qui allaient mourir… Son retour en 1945 a eu lieu plusieurs mois après ses sœurs, car elle était trop malade pour partir à la libération du camp par les russes et elle est restée plusieurs mois au Revier (infirmerie). Elle ne pesait plus que 23 kg. Elle nous a fait prendre conscience du temps qu’il a fallu pour se réhabituer à une vie normale, après les retrouvailles avec sa mère et ses sœurs. Son père, ses frères et sa belle-sœur, eux, ne sont jamais revenus. Tout était difficile : manger avec des couverts, faire des courses normalement, dormir… les actes les plus simples de la vie quotidienne leur étaient devenus étrangers. Il lui aura fallu 40 ans pour réussir à raconter les horreurs vécues pendant cette époque. Ne rien dire était une façon de tenter d’oublier. Mais elle en parle désormais, pour que ses petits et arrières petits enfants, dont certains sont au collège des 16 Fontaines et nous avaient rejoints au cours de la rencontre, et tous les jeunes d’aujourd’hui, comprennent et se souviennent.
Cette rencontre a été un grand privilège pour nous tous, d’autant plus qu’elle avait un lien direct avec nous puisqu’il s’agit de la grand-mère d’un de nos collègues et deux de ses arrières petites filles étudient au collège. Nous remercions très chaleureusement Mme Cohen et sa famille, pour son témoignage et ce moment de partage si émouvant. Son message est essentiel : ne pas oublier les dérives de l’histoire, pour faire en sorte que jamais elles ne se répètent. J’espère que tous les jeunes qui l’ont entendue auront compris, à travers aussi cette année de réflexion, l’importance de cultiver la tolérance et la bienveillance autour d’eux et de lutter contre le racisme, si banal puisse-t-il sembler, dans leur vie quotidienne. Je crois qu’ils ont été profondément émus par cette rencontre et s’en souviendront durablement. Il suffit de peu pour qu’une situation ne nous échappe. Cela dépend de nous aujourd’hui et d’eux demain…
M Belhadj précise : « Cette rencontre m’a été proposée par mon collègue de mathématiques M Cohen, lors d’une réflexion d’établissement menée en juin 2017 sur les projets éducatifs à mettre en place pour l’année scolaire 2017-2018. Étant fortement intéressé par l’histoire locale et par le « devoir de mémoire » nécessaire à la compréhension de la « grande Histoire », j’ai tout de suite accepté. Cette rencontre a été pour les élèves l’occasion de mettre un visage sur la souffrance des Juifs européens durant la Seconde Guerre Mondiale. Cette souffrance décrite en classe, dans les manuels, les documentaires ou encore les films s’est retrouvée incarnée devant eux, au CDI du collège par une vieille dame de 95 ans pleine de pudeur, de gentillesse, et de douceur malgré tout son vécu. Sa façon de s’adresser aux élèves en les appelant « mon fils » ou « ma fille » m’a touché ainsi que de nombreux élèves. Le moment qui m’a peut-être le plus marqué et aussi très probablement de nombreux élèves est celui ou madame Cohen nous a montré son numéro tatoué sur l’avant bras. La vision de ce signe extrême de déshumanisation a, je pense, permis aux élèves de comprendre la folie à laquelle peuvent mener le racisme et l’antisémitisme. Lorsque l’on ne considère plus l’autre comme son égal mais comme une personne inférieure, on en arrive à l’assassiner de façon froide et inhumaine. C’est ce message citoyen expliqué tout au long de l’année scolaire, que ce soit en Enseignement Moral et Civique ou lors des cours sur les deux guerres mondiales, qui s’est retrouvé personnifié en la présence de madame Cohen. Les élèves en seront je pense durablement marqués pour mieux faire vivre demain les trois valeurs de la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». »